*** Alhaar se tenait assis là. Sur un lit de maigre facture qui avait dû connaître bon nombre de corps étendus et fatigués avant le sien. Qui en connaîtrait d'autres encore. Au sol ses pieds reposaient sur les planches usées. Ses avant-bras étaient appuyés sur les cuisses. Son dos légèrement vouté l'amenait à surplomber le pendentif qui était le sien depuis sa résurrection. Ses doigts glissaient doucement sur le disque onirique, comme si son appréhension sous toutes ses coutures reflétaient les pensées bouillonnantes mais hésitantes qui étaient les siennes. Dans la pénombre de la chambre ses yeux clairs regardaient l'objet sans le voir.
Il était nu. Aussi nu qu'au premier jour dans cette posture pensive. Derrière lui les draps froissés recouvraient le lit et le corps allongé qui se soulevait doucement sous l'effet d'une respiration apaisée par le sommeil. Un souffle dans lequel Alhaar y aurait perçu la satisfaction des ébats précédents. Il n'en était plus là.
Plus tôt dans la journée il avait ressenti cette bouffée de chaleur, si puissante, si forte et si familière surtout. Il avait eu l'impression que quelque chose était revenu à sa place. Qu'un trou s'était colmaté. Il y avait pensé toute la journée. Y compris pendant le corps à corps passionné dont il ressortait à ce moment.
Il soupira profondément et passa le pendentif autour de son cou. Doucement, il se remit dans le lit, faisant glisser les draps par-dessus sa musculature apollinienne . Il regarda la tignasse sombre qui occupait l'autre partie du traversin et sourit tendrement. S'inclinant légèrement il y déposa un doux baiser avant de se réinstaller confortablement et de fermer les yeux... ***
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Soudain il lève les bras vers les cieux et la scène se met en branle.
Il n'y a pas de lieu, simplement deux hommes en armure. L'un porte un tabard blanc ciselé d'un or terne, l'autre un tabard noir de même facture et pareillement enrichi. Le symbole de l'épée et de la balance est clairement visible sur les deux mais il est comme éteint.
Les guerriers portent chacun une épée et ne restent jamais immobiles. Les images qui défilent alors sont complexes pourtant leur sens est clair. Aussi clair qu'un ciel du Zénith sans nuage.
Les guerriers sont en guerre, une guerre éternelle. Une guerre aux mille visages. Tantôt opposant des hommes, tantôt plongée au cœur des ténèbres de la Non-vie. Des murs s'érigent et s'effondrent, des hommes meurent. Ils ne sont que la scène.
Les deux acteurs s'ébattent au milieu de cela. Ils traquent les coupables, s'interposent entre eux et leurs victimes. Le blanc a le pouvoir d'annuler d'une énergie opaline les maux causés, le noir celui d'en causer davantage par des émanations d'ébène.
Ils combattent de paire, partout, tout le temps. Les champs de bataille passent les uns après les autres. Le blanc transperce une liche de sa lame tandis que le noir immobilise ses sbires. L'instant d'après un voleur est mis à genoux par le noir tandis que le blanc retourne d'un geste l'objet du larcin. Le blanc se jette sur une femme, la protégeant du poignard d'un mari furieux dont la blessure retourne au coupable avant qu'il ne soit mis à genou par le noir.
Mais peu à peu blanc et noir semblent fatiguer. Scène après scène, des plus épiques aux plus communes, le blanc se ternit, le noir pâlit. Ils tombent, trébuchent, se relèvent inlassablement mais avec toujours plus de difficultés. Eux qui étaient toujours ensemble semblent s'éloigner l'un de l'autre. Tout ce qu'ils combattent semble toujours plus fort, plus dur, plus sombre. Ils se noient peu à peu dans la scène, submergés. Ils se mettent à commettre des erreurs, échouent.
Et soudain se retrouvent et s'opposent. Les tableaux qu'ils affrontent restent leurs ennemis mais l'harmonie entre les deux est rompue. Les deux épées s'entrechoquent et le temps se fige.
Ce n'est d'abord qu'une étincelle. Elle grandit peu à peu, illumine le temps et l'espace. Un troisième chevalier apparaît, émergeant de la lumière tel un dieu s'extrayant de l'eau. Il marche impassible vers les deux autres et vient glisser sa propre lame entre celles de ses compagnons, rompant le combat, enrichissant soudain les tabards de l'or qui leur manquait.
Les scènes recommencent. Désormais le chevalier à l'or combat aussi. Il est celui qui leur a rendu leur nature première. Il les supporte, les coordonne, les inspire. Il incarne ce qui fonde leurs actions. Il est le principe dont ils sont les outils.
Les trois guerriers se retrouvent face à face, en un triangle parfait. Leurs épées tenues à deux mains viennent se rejoindre à la pointe au centre de ce dernier. La lame du noir s'assombrit, celle du blanc s'illumine, l'or se disperse. Les lumières se replacent. L'or s'empare de l'origine des lames, le blanc de la garde, le noire des pointes. Des triangles se forment dans le triangle. La lumière, aussi absolue que le monde les enveloppe... ***