C’était au temps où Idéo ne s’étendait qu’en 10 cités. Au temps où seuls les humains et les elfes peuplaient ce monde. Ces années où un illuminé avait tenté de prêcher le culte du Juste. Du moins, ainsi était perçu Ithor, le prophète, en ces cycles de répression de l’émergence d’une nouvelle foi.
En ces temps troubles, où régnaient la corruption et le désordre, à Montargent vivait Jovien Odrendall. La vingtaine, Jovien était déjà reconnu pour la qualité de son œuvre. En effet, le jeune homme était devenu un armurier après avoir reçu les enseignements du meilleur maître de la région. Jovien n’avait jamais été pieux et vivait tranquillement avec sa femme et sa fille, sans trop se préoccuper des magouilles des hommes de pouvoir et de foi.
Mais en ce bas monde, la corruption devenait fléau et l’injustice croissait comme la mauvaise herbe dans un champ abandonné. Jovien avait entendu ces histoires, avait vu de ces procès. Certes, cela était souvent injuste, mais il ne pouvait rien y faire. Il vivait sa vie avec fatalité, tâchant simplement de ne pas attirer le regard de ceux qu’il valait mieux ne pas côtoyer.
Cependant, voilà qu’apparut, sans trop qu’on ne susse quand et comment, l’un de ces suivants du prophète. Dans l’ombre, il prêchait la parole de Keldar. Jovien fut séduit par les préceptes de ce culte qui ne semblait avide de pouvoir. Il sentait enfin grandir en lui la Foi pour une noble et juste cause. Mais la répression à Montargent était très forte. Aussi l’apôtre Leagiol de Froydelune fût-il démasqué. Il fût exécuté très rapidement, les autorités espérant étouffer une bonne fois pour toute la propagation de ce culte dangereux, mettant en péril l’intégrité des institutions déjà en place. Cependant, sa mort, au contraire, toucha le cœur des gens tout autant que son discours si bien que la Foi du Juste pris de l’expansion à Montargent.
Jovien, tout comme tous les autres fidèles qui avaient jusqu’alors ralliés Leagiol, laissa éclater sa Foi au grand jour. Maintenant convaincu qu’Ithor était investi d’une sainte mission d’une importance capitale, il quitta son foyer pour gagner les montagnes où, paraissait-il, Ithor et ses fidèles avaient trouvé refuge. Il partit seul, laissant derrière lui sa famille, car défendre la parole du Juste était sa seule voie, la communauté de Keldar serait sa seule famille.
Il chemina de nombreuses journées durant. Il connue la chaleur écrasant, les pentes abruptes, les nuits glaciales. Malgré sa musculature, le voyage s’avéra long et difficile car il ignorait avec exactitude le lieu du campement d’Ithor et des siens.
Un mois passa. Il atteignit enfin le lieu tant recherché. Fatigué, mais bien portant, il alla à la rencontre du prophète et lui tint ces mots.
«Soyez loué, prophète Ithor, car la parole de Keldar a fait chemin jusqu’à Montargent où malgré la mort de votre apôtre, ou grâce à elle, Elle fleurit toujours. Soyez loué, car j’ai trouvé la Foi et je vous rejoins aujourd’hui dans votre noble quête. Mon nom est Jovien Odrendall, armurier de Montargent. Considérez mon talent vôtre car je suis à votre service.»
«Bien le bonjour, Jovien Odrendall. Si je suis heureuse de savoir que Sa parole a atteint le peuple de Montargent, bien que ce fût au sacrifice de l’un de mes plus proches suivants, sachez que je ne puis vous souhaiter la bienvenue aujourd’hui. Avant d’être accepté par la communauté de Keldar, vous devrez prouver votre Foi et alors seulement, vous serez admis parmi les nôtres.»
Le cœur de Jovien ne battait désormais que pour Le servir. Aussi posa-t-il un genou en terre, la main sur le cœur en déclarant :
«Ma vie est dévolue à Son service. Je ferai ce qui doit être fait.»
Ithor sourit, ne doutant pas que cet homme réussirait le rite de la Foi.
Jovien fut escorté à dos d’âne, les yeux bandés, à travers les montagnes. Il chemina ainsi deux jours durant puis, à la tombée de la nuit, on le fit descendre. Il enleva son bandeau et l’homme qui l’avait escorté consenti enfin à lui adresser la parole.
«Vous devrez me laisser vos armes. À partir d’ici, votre seul but est de retrouver le campement et de survivre. Si Keldar vous juge digne, vous retrouverez les siens.»
«Ainsi soit-il.»
Jovien lui remit ses armes et l’homme s’en fût avec l’âne. Jovien ne le regardait pas. Il observa les alentours. Les nuits en montagne étaient froides et il n’avait rien ni pour se couvrir, ni pour faire un feu. Il ne réussit qu’à trouver une alcôve protégée du vent. Là, il s’abîma en prière.
«Ô Toi, Keldar
Juste parmi les justes
Ta mission est noble
Ton serviteur saura s’en montrer digne
Par la Foi nouvelle, je fais serment
Que je Te servirai jusqu’à ce que je sois rappelé
Que je serai l’un de Tes bras portés pour sauver le monde de l’ignorance et l’amener dans Ta lumière.
En Ton nom
Pour Ta gloire»
Et il s’endormit, car armé de la Foi, il était invulnérable. C’est confiant qu’il chemina, trouvant sur son chemin de quoi se nourrir et s’abriter. C’est au troisième jour qu’il atteint le campement et fût accueilli par Ithor, déclamant à la foule son retour.
«Fidèles de Keldar, vous, femmes et homme de Foi, apprenez qu’en ce jour, une âme a été sauvée, une âme a été ramenée sur le chemin lumineux de Sa Justice, car telle fût Sa Volonté. Aujourd’hui, entendez la clameur de vos voix à travers toutes les montagnes, un cri puissant empreint d’une Foi sans faille. Et bien, à ce cri, à vos prières, à vos bras viennent s’ajouter une nouvelle essence : ceux d’un nouveau fidèle. Acceptez-le, quelque fût son passé, car au service de notre communauté, il fera rédemption et sachez d’ores et déjà que Keldar l’a jugé digne de nous rejoindre. Toujours plus nombreux, toujours plus pieux, bientôt viendra le jour où nous serons un peuple et où il n’y aura qu’un seul dieu : Keldar, Dieu de toute Justice.»
Ainsi Jovien Odrendall joignit-il la Communauté de Keldar.
[...]
Les années passèrent et les ranges continuèrent à grossir. Jovien mis son talent au service de la communauté et s’initia à la chasse. Il commença même à apprendre l’art du combat, car un fléau devait s’abattre et ce savoir ne pourrait lui nuire.
Puis les rumeurs vinrent jusqu’aux montagnes. L’heure était venue…
Ithor réunit Ses fidèles. D’une voix forte, il leur dit :
«Fidèles de Keldar, femmes et hommes de grande Foi, vous qui connaissez Ses Lois, vous qui avez décidez de vivre en suivant le Véritable Dieu, apprenez maintenant la mission dont nous sommes investit. Là-bas, dans les lointaines terres de l'Ouest s'est levé un mal terrible et terrifiant, un mal que nul homme, nulle armée en ce monde ne peut vaincre. Un mal qui a bouleversé l'équilibre de Sa Justice. Et les hommes en ces terres connaîtront le fléau de la vie, ils connaîtront le dégoût de voir leurs pères et leurs mères venir les combattre. Ils connaîtront la peur, le doute et la folie.
Mais nous, fidèles de Keldar, notre Foi nous prévient d'un tel châtiment. Et en ce jour, cent d'entre vous recevrons l'Illumination. Ils apprendront qu'ils furent choisis afin de faire triompher Sa Loi sur ces terres, ils ne seront plus seulement des fidèles du Juste, ils seront des représentants de Sa Sainte Justice, ils seront les Paladins de Keldar. Le Bras armé de Dieu en personne. Lorsqu'ils se seront révélés, ne les blâmez pas, car leur destin est guidé par Keldar, ne les jalousez pas, car leur combat sera pire que tout ce que vous pourrez jamais endurer dans une vie, et ne les pleurez pas, car ils seront assurés d'accéder à Son Paradis.
Et vous, Fidèles de Keldar, qui resterez à attendre une victoire certaine, votre rôle sera de faire perdurer Ses Préceptes, qu'à jamais ils illuminent le monde. Vous resterez afin que tous sache que Keldar est Dieu et vous guide et vous protège. Maintenant priez ! Prions ensemble pour nos âmes et attendons Son Divin Jugement.»
L’Élu posa un genou en terre. Tous l’imitèrent. Le silence pieux de milliers d’hommes et de femmes en prière planait. Puis, peu à peu, une, deux, quatre personnes se levèrent. Ils furent bientôt cent. Jovien Odrendall en faisait partie. Les 100 paladins de Keldar choisis par Sa Main Divine.
Les préparatifs se mirent en branle. Jovien confectionna les armures de ceux qui n’en avait déjà. Les armes furent bénies. L’épée d’Ithor reçu la bénédiction des cent paladins.
Et un beau matin, ils partirent vers leur destin, vers leur mission sacrée.
Vers la Victoire.
[...]
Après de nombreux jours de marche, Ithor et les 100 arrivèrent aux portes de Dominia. La ville en était à ses derniers retranchements. L’armée des morts-vivants était telle que tout semblait perdu. Mais ces valeureux guerriers armés de leur Foi ne craignaient pas ces abominations. Ils s’avançaient, confiant, car là était leur devoir, leur mission.
Les miliciens de Dominia, l’armée des elfes et les élus de Keldar foncèrent tout à la fois sur l’ennemi. Mais les arcs ne pouvaient rien contre les squelettes et les miliciens étaient sans cesse submergés par les morts-vivants. Mais Ithor et les siens progressaient dans le cœur de l’armée ennemie. Jovien, aux côtés d’Ithor, assenait de puissants coups d’épée fracassant les squelettes. Le combat semblait sans fin et son bras commençait à faiblir. Mais leur progression était-elle qu’il entendit bientôt le marché proposé par la liche maléfique, de sa voix caverneuse qui semblait résonner en un frisson jusqu’aux tréfonds de son âme, à Ithor. Il n’entendit la réponse de l’Élu qui se perdit dans le fracas des os contre le tranchant de son épée, car les squelettes ne lâchaient pas. Mais soudain, une lumière vive l’aveugla. Concentrée à combattre l’ennemi, il ne vit le duel de Zhart et Ithor, mais il ne fallut pas plus de quelques minutes pour que la liche soit vaincue et que l’armée mort-vivante s’effondre devant leurs yeux.
Ainsi le fléau fut-il éradiqué.
[...]
Après le combat épique, Ithor et les survivants retournèrent en héros dans les villes qui allaient devenir le Royaume d’Ithoria. Jovien Odrendall retourna chez lui, à Montargent. Mais la déception fût grande. Sa demeure avait été ravagée et sa famille avait vraisemblablement périe. Mais le temps n’était pas au chagrin. Il fallait reconstruire.
Jovien rebâtit sa demeure, se confectionna de nouveaux outils et reprit son métier. Il usa de connaissances également pour fabrique des outils utiles à la nouvelle population. Il prit femme en l’an III et eût deux garçons : Marius et Augustin. Il était connu dans la ville comme un bon vivant, serviable et aimable. Malgré ses exploits, il demeurait modeste et était très apprécié dans le voisinage.
En l’an XI, une croisade fût lancée pour aller purifier les marécages du nord. Confiant depuis leur victoire récente contre les morts vivants, Jovien s’engagea et partit, armé de son courage et de sa Foi. Malheureusement, jamais il ne revint, pas plus que les 700 hommes qui s’y aventurèrent.
Mais Jovien Odrendall laissait derrière lui deux fils qui perpétueraient sa lignée.
Eonix
