Blancastel était prise. L’Empire n’était plus à leur porte : il était sur leurs terres, impunément!
Mariane s’inquiétait. Jesban… Angelika. Pourvu que rien ne leur soit arrivé. Elle n’avait pas eu de nouvelles depuis longtemps. Mais il n’était pas question de quitter le domaine familial. Pour leur sécurité déjà et parce que Laurian d’Eregon leur avait formellement interdit. Il fallait également veiller sur Blanche de Bayssac et surtout ne pas s’exposer… Lui avait dû prendre la route de Kival, ses fonctions d’inquisiteur le requérant à la capitale, en ces temps troublés.
La jeune femme cherchait un moyen de tuer le temps pour arrêter de se ronger les sangs. Mais en vain. Elle était incapable de rester concentrée sur un livre ou même sur quelques travaux de broderies pourtant si simples. Aussi déambulait-elle plutôt de long en large dans le salon.
«Arrête Mariane, tu me donnes le tournis.»
«Excusez moi, Mère.»
Elle s’assied, ses mains triturant un pli de sa robe.
«Rien ne sert de s’inquiéter, nous ne pouvons rien y faire.»
«J’en suis consciente Mère, mais c’est plus fort que moi. Comment arrivez-vous à demeurer calme en pareilles circonstances!?»
«Je ne suis pas calme, Mariane, mais je ne le laisse pas paraître, contrairement à toi. Tu devrais mieux savoir te contrôler. Une telle attitude est indigne de ton rang et de ton éducation.»
Une telle réplique de la part de Blanche de Bayssac était en soi un signe de son énervement. Elle d’habitude si douce n’avait point usage de tels propos. Mariane se mordit la lèvre inférieure et ne répondit rien.
L’atmosphère se faisait tendue dans la pièce. Nul n’osa ajouter mot. C’est tout juste si l’on osait remuer le bout d’un doigt. Les seuls sons provenait des échos du travail des domestiques dans la manoir.
L’attente était difficile.
Les jours passèrent. Les armées impériales pillaient maintenant Montargent. Les troupes ithoriennes tenaient tant bien que mal la cité. À Angelune, la famille d’Eregon n’avait que peu de nouvelles. L’ennemi approchait. Fallait-il faire fi des ordres du patriarche et se retirer en lieu sûr? L’envie y était, mais l’autorité du père était si bien ancrée dans les esprits que nul n’osa même le proposer. Laurian d’Eregon saurait communiquer avec eux au besoin. Qui plus est, on ne savait pas si Blanche de Bayssac pourrait supporter un tel voyage.
Alors ils demeurèrent tous au manoir. Les conversations s’y limitaient au strict minimum depuis quelques temps. L’inquiétude était palpable. On attendait…
Mariane en arriva même à songer qu’Il les avait abandonné. Il avait sauvé l’Humanité du Fléau, mais aujourd’hui, Il n’était plus là. Il laissait les hérétiques, les profanes, les blasphémateurs souiller leurs terres. Alors, c’en était fini du Saint Royaume d’Ithoria!
Mais l’attente fût rompue. Non pas par une missive du patriarche; non pas par un messager, ni par de mauvaises nouvelles; non pas non plus par la marche des soldats impériaux sur Angelune. Non. Ce qui mit fin à l’attente, ce fût une voix. Oui, une voix que tous entendirent, sans savoir d’où elle venait. Cette voix était porteuse d’un message. Un message important destiné à Son peuple. Cette voix disait :
«Ithoriens, Enfants de Keldar. Je vous parle par l'intermédiaire du Très Haut ; hier beaucoup me connaissaient pour ma carrière ecclésiastique, demain tout le monde me connaîtra pour être votre nouvelle Oracle, mais également votre Messie.
Notre Peuple souffre, l'Impie tue Ithoria sous leurs coups incessants et innombrables, ils annexent notre Royaume peu à peu à leur Empire Hérétique, consumant notre Foi à petit feu.
La Flamme de notre Royaume, anciennement fière et crainte, n'arrive plus à avoir la clarté d'antan. Nous ne somme plus capable de repousser l'ennemi. Nous ne somme plus en sécurité face au Profane, au Délémite, au Nécromant, à l'Hérétique.
Plus le temps passe plus nous baissons la tête, l'armée est devenue impuissante, en vu du nombre et de la puissance de l'ennemi, vos familles, femme, mari, enfants, frères et sœurs, amis ne sont plus en sécurité et succomberont tous face à cette menace. De plus le Royaume d'Ithoria a été souillé de l'intérieur, par les faibles, les lâches, les blasphémateurs et autres indignes du Juste. Il est clair que le Royaume n'est plus ce qu'il a été, que le Royaume tombe en ruine, que le Royaume se meurt et va mourir.
Cela est dû à une unique bonne raison, Le Très Haut a abandonné Ithoria ! Mais Keldar ne nous a pas abandonné Nous ! Au contraire, il nous offre un nouveau territoire, de grandes et belles Terres fertiles, des Terres-Saintes, des Terres paradisiaques.
Ithoriens ! Cédez Ithoria, comme Keldar l'a déjà fait, rejoignez-moi en ces Saintes-Terres, construisons un nouveau Royaume, nos précédents échecs seront notre force. Nous aurons de nouvelles Lois, de nouveaux dirigeants, un nouveau système, une nouvelle vie, une nouvelle chance. Là-bas nous serons invincibles, sur ces Terres parfaites. Abandonnez votre maison en Ithoria, pour vous installez en ce Lieu de rêve.
Vous voulez être en sécurité, alors venez car rester, c'est se soumettre à l'Hérétique. Vous voulez être prêt de votre Dieu, alors venez car rester, c'est s'éloigner de Lui.
Mais attention, seul les croyants purs pourront venir, seul ceux dont la vraie Foi brûle, seront autorisés à fouler ces terres. La Loi, l'Ordre et Keldar régneront.
Préparez vous»
La jeune femme eût honte d’avoir douté du Très Sévère. Aussi, seule dans sa chambre, elle prit un chapelet, s’agenouilla et égrena les billes, une à une. Puis seulement, elle ajouta à mi-voix :
«Si Vous me jugez digne d’accéder à Vos nouvelles terres que Vous offrez à Votre peuple, je fais le serment que je me montrerai digne de cette confiance et que je ferai tout pour expier la faute du doute. J’ai failli devant l’épreuve. J’ai démontré la faiblesse de ma Foi. Je ne suis pas digne d’accepter Votre cadeau, mais si Vous me l’accordez, je considérerai cela comme un honneur incommensurable et prendrez cette chance que Vous m’offrez de m’accorder Votre pardon.»
Une lumière jaune jaillit. La chambre était vide…