Il ne me reste pas grand chose sur moi, seulement quelques pièces et la prochaine ville est à trois jours de marche d'ici. Ne pensez pas pour autant que je suis à plaindre car j'ai voulu cela en me débarrassant de mes possessions terrestres avant d'entreprendre ce voyage vers Rédemption. D'ailleurs on dirait que la nature elle-même s'est délestée du superflue. La plaine à l'herbe ras s'étend à perte de vue. En arrière-plan, on distingue très nettement les monts cendreux qui s'élèvent brutalement au dessus de ce vaste espace, invariablement monotone et d'une planitude si parfaite que l'ensemble des armées du monde connu ne suffirait pas à le remplir tout à fait.
J'ai croisé un herboriste un peu cinglé auquel j'ai acheté des provisions. De quoi tenir jusqu'à Frehil. Il m'a raconté que certaines plantes rares et utiles devaient bien se cachées entre ces brins secs. Je n'ai pas osé lui dire qu'il se trompe sûrement, cette terre est ingrate, il faut se faire une raison. Même le Fleuve des Âmes serpentant au loin ne parvient pas à lui arracher la moindre culture décente. Le sang d'Ithoria, selon les mots de Gabisse Dalriel du temps où elle guidait le peuple de la Lumière, coule sur une carcasse dont on se demande si la vie l'a un temps animé de sa grâce. Rien ne bouge et le vent ne fait que passer en hâte.
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Serkin, m'y voilà enfin. Le lierre grimpe sur ces ruines fraîches de cinq cycles. Je me reposerai cette nuit dans une loge réservée aux voyageurs comme moi. C'est avec le monument aux morts le seul bâtiment encore entretenu. Trois statues se tiennent sur la place centrale. Un homme aux yeux exorbités, vêtu de guenilles s’apprête à abattre un poignard sur un chevalier dont l'épée fouille d'ores et déjà les entrailles du possédé. Un moine, légèrement en retrait, fixe de son regard énigmatique le duel fratricide. Pour simple inscription une date : Valkin 4 Logalios du 1551ème cycle et pas la moindre mention des nains gris qui réduisirent le village en esclavage.
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Je suis recouvert de poussière sans être pour autant blanchi de mes crimes passés. La plaine n'est pas un sujet littéraire puisqu'elle atrophie l'esprit au lieu de l'accroître. Je viens à l'instant d'en épuiser la substance. Elles ne sont pas une espérance mais un lieu hors du temps. Il n'y a plus que vous, vos péchés d'autrefois et vos actes de contrition à venir. Personne ne viendra perturber l'introspection qu'appelle d'un silence bouleversant ce sol pelé. Vous vouliez prendre le noir ou bien accomplir le pèlerinage de la Source ? La délivrance attendra ... passez d'abord au purgatoire.
Joriol 13 Joriamel du 1556ème cycle,
Arydan, repentant.
Eraar
